Mes chiens, mes Guides
Impossible de vous parler de mon travail, de ce métier passion qui me fait me lever chaque jour, sans vous parler de ma merveilleuse Laska.
Je suis née dans une famille où les chiens n’ont jamais fait partie du paysage. Un jour, en 2009, lors d’un Téléthon, j’ai découvert une démonstration d’éducation du club canin de ma ville. Ce jour là, je n’ai pas vu les colliers étrangleurs, ni les saccades, je n’ai vu que les chiens et les humains marchant ensemble au même rythme, au coude à coude. Cette fusion apparente m’a bouleversée. Je n’avais pas de chien, aucune connaissance en éducation canine, mais c’était décidé, moi aussi, j’aurai un chien un jour et deviendrai monitrice d’éducation canine.
Je suis arrivée la semaine suivante au club canin avec rien d’autre qu’un immense sourire et un culot considérable pour demander si, moi aussi, je pouvais devenir monitrice au sein du club. Je l’ai fait un peu rire sur le moment mais je ne pourrais jamais retirer à ce directeur de club que, grâce à lui, une nouvelle Voie, celle sur laquelle je marche aujourd’hui (certes, d’une façon très différente), s’est ouverte à moi.
Les mois passant, il devenait évident que je ne pourrais pas me former convenablement sans avoir, moi aussi, un chien à mes côtés. C’est ainsi qu’après de nombreuses recherches, je suis tombée amoureuse du berger Suisse. Quelques temps plus tard, j’ai trouvé une particulière qui ambitionnait à devenir éleveuse et qui venait d’avoir sa première portée. En recevant des photos des petits, je suis tombée en amour pour la petite merdeuse du groupe, celle qui mâchouillait la kennel et était toujours couverte de boue. En arrivant sur place, le jour de l’adoption, j’ai demandé à l’éleveuse de ne pas m’indiquer quelle était la chienne que je désirais tant, je voulais que mon choix soit un choix du coeur.
A peine entrée, une petite femelle s’est détachée du groupe et s’est jetée dans mes bras : « C’est elle ! Celle que vous aviez choisi dans la portée ! ».
Un choix du coeur, sans aucun doute. Ce moment de profonde tendresse s’est rapidement dissipé lorsque ma petite Laska s’est mise à hurler dans la voiture au retour. Je l’avais arrachée à sa mère, ses hurlements résonnent encore en moi. La première nuit n’a rien arrangé. N’ayant aucune connaissance en la matière, et suivant les conseils reçus, nous l’avons laissée pleurer. Elle a hurlé pendant une semaine. Ca a été la première étape de la lente fracture de mon bébé chien.
Au fil des mois, j’ai pu constater comme les conseils qui m’étaient donnés au club canin portaient préjudice à ma chienne, à notre relation mais aussi à ma confiance en moi. Les conseils reçus par les moniteurs plus expérimentés étaient présentés comme un mal nécessaire, il fallait « impérativement les suivre au risque de voir ta chienne se retourner contre toi et contre tes proches ». Mais plus je suivais ces recommandations (la faire manger après nous, l’engueuler quand elle faisait une « bêtise » ou la dominer en la plaquant en alpha roll si elle me grognait dessus) et plus la relation avec Laska s’étiolait sous mon regard désabusé. Qu’avais-je bien pu faire de mal, moi qui appliquais soigneusement les (nombreuses) règles qui m’avaient été enseignées ? Nous étions loin de la relation tendre que je rêvais d’avoir avec Laska.
Jusqu’au jour où, au coeur de l’automne, aux alentours de sa première année, après une énième confrontation, Laska, poussée à bout, m’a sauté dessus et mordu le bras. Mon épais blouson avait été arraché, mais c’était surtout mon coeur qui semblait avoir été coupé en deux. Ca a été l’électrochoc pour une lente déconstruction de ce que l’on m’avait enseigné. Qu’importe que ces règles me permettent soi-disant d’être le chef du foyer, ce n’était définitivement pas ainsi que je concevais l’éducation. J’ai pris le temps de revenir plusieurs fois au club (en prenant soin de laisser Laska à la maison) pour observer d’un oeil neuf ce qui m’avait été enseigné : des chiens aux colliers étrangleurs, torquatus (parfois épointés), électriques, des chiens pendus, recevant des coups de pied, tirés de force au sol pour se coucher, des chiens grognant, hurlant, se plaquant au sol.
Ce que l’on m’avait vendu comme une éducation nécessaire n’était, ni plus ni moins, que de la torture.
Il m’a fallu du temps pour sortir de ma torpeur, pour dissoudre toutes les connaissances archaïques que l’on m’avait martelées jusqu’alors. Mais grâce à Laska, j’ai remis en question en profondeur tout ce que je pensais savoir et me suis promis de ne plus jamais tomber dans de telles dérives. Je me suis juré de chercher des approches qui respecteraient toujours l’intégrité physique, émotionnelle et mentale des chiens qui croiseront mon chemin, de ne plus jamais vivre ou faire vivre ces dérives banalisées.
Plus jamais.
Laska a ouvert la porte à de nouvelles réflexions, m’a formée en Communication Animale et m’a guidée toute sa vie. Grâce à elle, j’ai pu découvrir l’éducation dite « positive » et tenter de recoller les morceaux d’une relation piétinée par une perception archaïque de ce qu’est un chien.
Laska était une chienne sensible, timide, tendre, d’une générosité sans failles. Elle n’avait pas une once de tendance à la prédation en elle, elle était merveilleuse avec tout le monde, toutes espèces confondues. Laska a guidé Vulcain dès ses premiers mois, a été la meilleure grande soeur de l’univers pour lui.
Son chemin de vie terminé, Laska s’est éteinte prématurément en 2017 d’une maladie auto-immune, dans les bras de mon compagnon, sous les yeux de son petit frère qui, tout comme nous, l’a longtemps pleurée.
Depuis l’enfance, je rêvais d’avoir un jour à mes côtés un labrador noir. Arrivant sur Lille pour mes études, je me suis rendue en refuge dans l’espoir d’adopter un chiot, un petit frère pour ma merveilleuse Laska. On m’a annoncé ce jour là qu’une portée de chiots croisés labrador venait d’arriver, récemment abandonnée dans un terrain vague. Dans les couloirs sombres du refuge, j’ai été amenée devant deux petits chenils. A l’intérieur, quatre petites boules de poils noirs, séparées deux par deux. Deux femelles et deux mâles d’à peine trois mois. Dans le chenil de droite se trouvaient les deux mâles. L’un d’eux était en train de manger et rabrouait le second qui a fait machine arrière. Dans l’ambiance sourde du refuge, résonnant par les aboiements des autres chiens, ce tout petit chien repoussé par son frère est venu vers moi et s’est assis, me fixant dans le blanc des yeux de longues secondes, en silence. Une petite médaille perlait à son cou. N°30764. Je me suis répété mentalement de nombreuses fois ce numéro. « C’est toi, personne d’autre. Attends-moi, je viens te chercher ».
La portée ayant été fraîchement abandonnée, il fallait attendre une semaine réglementaire avant de pouvoir accueillir ce petit être à la maison. Une semaine d’insomnie, de peur que celleux qui l’avaient abandonné là ne viennent à changer d’avis. Les jours sont passés et est enfin arrivé le moment où je pouvais prendre dans mes bras mon petit trésor et partir avec lui. Avec ce début de vie triste à mourir, il fallait un nom à sa hauteur, à la hauteur de ce regard de braise qu’il a posé sur moi durant ces secondes devenues éternité.
C’est ainsi que Vulcain, Dieu du feu et de la forge, lui a prêté son nom.
Vulcain était un chien intense, sensible, expressif, délicat et profondément généreux. Toujours d’excellente humeur, Vulcain illuminait les journées les plus sombres en pignant de joie, queue en mouvement permanent. Un chiot de trois mois dans un corps d’adulte en somme. Vulcain n’a pas souhaité m’accompagner dans mon travail, il était donc un « chien de famille pure souche ». Avec lui, grâce à lui, j’ai progressé au quotidien en tant qu’éducatrice, en tant que gardienne, en tant qu’humaine.
Très sensible physiquement, une patte tenue trop longtemps pouvait le faire hurler de panique. Littéralement. Il m’a appris à faire preuve de tact et à lire avec attention ses signaux de communication. Il m’a emmenée en ligne droite sur la voie de l’entraînement aux soins mais aussi du développement des espaces de choix de façon générale. Je n’aurai jamais eu ces compétences sans son accompagnement.
Intense, il ne tolérait pas l’à peu près, surtout dans les interactions canines, où une accumulation de mauvaises rencontres l’a fait tomber dans l’agressivité pour se sortir des situations inconfortables. Il m’a fait remettre en question tout ce que je pensais savoir, tant concernant les interactions canines que l’accompagnement d’un chien de façon générale. Il m’a poussée à être très précise dans mes sessions de travail et à avoir une approche plus comportementale qu’éducative, à prendre pleinement en considération la Voix des chiens qui allaient croiser ma route.
Avec les humains, il savait être d’une patience monumentale et était profondément aimé par toutes les personnes qui ont croisé sa route. Très expressif, nous étions connectés en Communication Animale en permanence.
Après neuf années de vie, Vulcain a eu un cancer agressif de l’urètre et s’est éteint dans mes bras début 2023. Jusqu’au bout, il a été plein de dignité, de patience, de pédagogie, et a fait preuve d’un courage exceptionnel face aux soins invasifs et douloureux qu’il a dû subir.
Je lui suis profondément reconnaissante pour tous ses enseignements et pour la chance immense d’avoir eu un chien aussi formidable dans ma vie. Il a été mon petit frère, mon meilleur ami, mon guide et mon enseignant. Je n’aurai jamais assez de mots pour le décrire, il m’a tant apporté, tant transmis. Je le remercie chaque jour d’avoir accepté de faire partie de ma vie, et d’avoir été le messager pour que Rune en fasse partie à son tour.
Rune a été une rencontre si inattendue que son nom officiel en aura porté définitivement la marque : Unexpected Little Potato.
Traumatisée du départ si soudain de Vulcain, je n’aurai jamais imaginé reprendre un chien un jour. Mais la vie a fait qu’un chemin s’est tracé en ligne droite en direction de Rune, il était donc temps pour moi d’accueillir dans ma vie cette merveilleuse petite pomme de terre.
Rune est une chienne golden de lignée mixte, née chez une excellente éleveuse. J’ai fait ce choix en conscience, m’ouvrant l’opportunité de vivre une troisième expérience, différente de celles vécues avec Laska et Vulcain.
Rune est une chienne incroyable, loin des idées reçues que l’on pourrait se faire d’un golden. Du haut de ses deux mois déjà, elle avait une autonomie et une maturité extraordinaires pour son âge. Elle n’en démordait pas : « Je ne suis pas un bébé » était son crédo dès son arrivée. Pas de suivi naturel, truffe au sol, elle faisait sa vie sans peur. Elle partait en ligne droite à 80 mètres et rien ne pouvait l’arrêter. Observatrice, elle a passé des heures de sa vie assise, en silence, à regarder et analyser son environnement. Courageuse, expressive, sachant exactement ce dont elle a besoin, elle sait demander avec ténacité et sait dire « non » avec clarté. Pas du tout gourmande, elle a passé de nombreux mois à manger comme un moineau et à recracher les friandises que je lui proposais, même celles qui auraient une valeur considérable pour la plupart des chiens. Pas sensible au mouvement ou aux variations de voix, elle était totalement indifférente au baby talk ou à tout comportement naturellement attrayant pour un chiot (partir en courant, faire des bruits aigus ou s’accroupir).
Nous avons passé de nombreux mois à nous découvrir, elle, son autonomie considérable et ses comportements souvent plus félins que canins. Joyeuse et câline mais aussi exigeante et dynamique, elle me pousse régulièrement dans mes retranchements, m’exprime avec une clarté limpide ses besoins, ses attentes, ses objectifs de vie. Très lumineuse, elle porte à merveille son nom et a une relation très douce avec son environnement et les vibrations qui l’entourent.